Elle pousse un cri en ouvrant la porte de sa chambre ; de gros rats aux yeux globuleux se jettent sur elle pour lui mordiller les doigts de pieds. Elle n’a que le temps de refermer la porte pour éviter le pire. Elle recule de quelques pas dans le couloir en écoutant les grattements de petites griffes sur le bois de sa porte. S’élève alors un petit cri désespéré depuis l’autre côté. C’est Monsieur Mims qui appelle à l’aide !

Ni une ni deux, elle se met à courir dans le couloir et descend l’escalier quatre à quatre. Elle croise Maman sur le chemin dont elle entend à peine la réprimande « Will, on t’a déjà dit de ne pas courir dans les escaliers ! » et vire à gauche jusqu’au petit placard à balais où sont rangés toutes sortes de choses merveilleuses parmi lesquelles des balais. Elle saisit le plus petit et l’enfourche pour pouvoir remonter l’escalier plus vite encore. Maman tente de l’arrêter : le balai ne fonctionne pas bien, il pourrait tomber en panne en pleine ascension et la précipiter vers une chute dangereuse. Elle la rassure et s’envole vers l’étage quand elle entend sa monture suffoquer comme un voiture qui broute puis cale. Elle se rattrape de justesse sur la rampe et finit à pied, le balai dans la main. Elle traverse le couloir à toute allure et arrive enfin devant la porte de sa chambre.

Les rats couinent et grattent. Elle inspire. Monsieur Mims continue d’appeler. Elle expire. Elle rassemble dans son petit souffre tout le courage de son cœur. Elle en attrape dans l’air, des petites gouttes de courage qui flottent au milieu des molécules d’oxygène qui gonflent ses poumons. Serrant le manche dans sa main gauche, elle tend lentement le bras, dépose sa paume sur la poignée…
Elle pousse le battant à la volée. Elle attrape le balai à deux mains et écrase les rats un à un avec la brosse. Ils craquent et crient pour ne laisser que des corps sans vie sous ses coups. Une fois tous les ennemis éliminés, elle lâche son arme et tend les bras vers Monsieur Mims qui se blottit contre elle en pleurant. Elle caresse ses poils soyeux, rabat ses grands oreilles bleues derrière sa tête et lui chuchote. « Tout va bien, Monsieur Mims. Tu es sauvé. Tu es sauvé ! »

Elle le console longuement, reniflant l’odeur de fraise qui s’élève de son cou, puis dépose un baiser sur son front avant de quitter sa chambre sans plus un regard vers les silhouettes en plastique qui jonchent le sol.
Elle ouvre la porte à côté.

Elle contemple le dos d’un garçon, adolescent dans l’âge, assis sur son siège face à l’écran. De sa souris et son clavier, il fait avancer et combattre son avatar perdu au milieu d’un groupe d’autres personnages colorés. Leurs épées brillent à travers le corps des monstres qu’ils déchiquettent. Elle s’approche doucement, serrant son lapin en peluche contre elle, et regarde avec fascination les combats effrénés qu’ils mènent contre des monstres dix fois, vingt fois, cent fois plus gros qu’eux. Quand il réalise qu’il n’y a plus que lui de debout, le plus massif pousse un cri qui résonne dans le casque du garçon et qu’elle imagine vriller dans ses oreilles, et de gros rats aux yeux luisants apparaissent dans des volutes de fumée noire pour se jeter sur eux. « Drevil, balance ton spell ! » Un mage vêtu de noir s’avance et de ses mains jaillissent des flammes bleues. Un cercle se forme autour des rats et tous meurent brûlés instantanément pendant que les épéistes continuent de frapper le monstre gigantesque.
Le cri d’émerveillement alerte l’adolescent qui se retourne pour seulement remarquer sa petite sœur. Il râle, crie, gronde. « T’as rien à faire ici, Will, sors de ma chambre ! » et elle doit à contre-cœur fermer la porte à cet univers sombre et fascinant.